Anthropiques Tropiques

Publié le par Jean-Claude Boyrie

Anthropiques Tropiques.

« Patchin, patchan, lou cant de l'alaoude,

Patchin, patchan, tchancayres que van... » (1)

Miqueù Gieure (2)

 

    Mi-août. Le chat miaule. Au soleil, midi net. Ses rayons acérés griffent le tronc des pins, percent les frondaisons, filtrent sous les nuages.

    Ciel plombé. Pas de vent. Dans l'enfer végétal, la chaleur monte: air moite et languide torpeur de l'été. C'est l'effet de serre en raccourci.

    Fougère arborescente et lianes... tout évoque la flore du Houiller, dans un cadre naïf: le douanier Rousseau doit être passé là! Du monde de l'osmonde (3) au corps grêle des prêles, tout s'enchevêtre ici. Tout est exubérance, artifice, entrelacs.

    Rareté botanique au coeur de la mangrove (4), une fleur d'Hibiscus sauvage (5), insolite et pourpre éclaboussure.

    Le vif courant charrie une eau ferrugineuse; rouge sang: la couleur sombre de la garluche (6), dure concrétion qui vous pique et vous coupe.

    Le batelier connaît ces haut-fonds insidieux. Remous et tourbillons signalent les rapides qu'une barque à fond plat franchit en zig-zaguant. Nul risque d'échouer sur un seuil d'alios (6)....

    Eclair bleu: vol en piqué du martin-pêcheur... Un cri rauque: on entend le pic-vert ricaner. Roucoulement de tourterelles, contrepoint au chant de l'alouette, un peu plus loin.

    Comme des chants d'oiseaux, les mots d'ici sont pleins de timbres gutturaux. Faits de bric et de broc, de traoucs et de trounques (7), de l'entre-choc des « x », du sifflement de l' « s » et de l' « h » aspiré. Adichats (8): Arjuzanx, steack Seignanx, oeil de Linxe (9). Marais d'Orx: « r » qui roule, et monte sur ses tchanques (10).

   

Ainsi va le vent d'ouest, de la mer à l'étang. Au mitan du parcours, le pont de Pichelèbe (11) joint l'infini des flots à l'océan des pins. Clairière au fond des bois. Loin des lieux habités, un abri de pêcheurs. Jeux d'eau, puits de lumière tiède et clapotis. Plagette. Sur la rive, pleur des cyprès chauves. Ces arbres enrhumés se mouchent par les pieds! Ils ne manquent pas d'air par leurs protubérances. Ces morts-vivants, surgis du marécage obscur, tendent vers le passant leurs membres décharnés, obscènes excroissances. (12).

 

 

    Casiers, nasses, verveux, tous ces pièges tendus, attendent leur victime: une anguille argentée. Dévalant le courant pour aller, loin d'ici, frayer sur un rivage au nom mystérieux. Celle-ci n'atteindra pas la mer des Sargasses! (13). On la tire de l'eau, pantelante, poisseuse. Un dernier spasme agite, au contact du couteau, ce corps écorché vif, tronçonné, mis en broche, et jeté sur la braise ardente, ruisselant de graisse. Dévoré brûlant: un vrai festin!

    Plus bas, vers l'embouchure, on nomme « lette blanque » (14) un paradis perdu de sable éblouissant. Cette côte sauvage était jadis déserte. Les naturels chassés reviennent au galop pour vivre heureux et nus, comme à l'aube des temps. A qui les laisse en paix, respecte leurs coutumes, ces gens ne manifestent pas d'hostilité. On les dit hospitaliers à l'étranger venu visiter ce pays proche et lointain. Car ici, l'Amazone a nom: courant d'Huchet.

 

Notes et commentaires:

[Photos de l'auteur]

 

  1. « Clopin-clopant, au chant de l'alouette,

Clopin-clopant vont les échassiers.... »

  1. Michel Gieure, poète landais.

  2. Osmunda regalis L.

  3. Formation impénétrable spécifique des eaux marécageuses dans les régions tropicales, la mangrove est constituée d'un fouillis de fortes racines (palétuviers...)

  4. Arbre tropical à belles fleurs de la famille des Malvacées. Espèce emblématique du courant d'Huchet, où elle pousse à l'état spontané.

  5. L'alios, appelé localement « garluche », est un grès rougeâtre ou noirâtre, imperméable, qui se forme par agglutination de la couverture sableuse.

  6. Souches de pins coupés.

  7. l'« adieu » gascon signifie aussi « bonjour! »

  8. Noms de villages landais.

  9. Echasses.

  10. Nom de lieu-dit, signifie littéralement « Pisse-lièvre ».

  11. Les cyprès chauves, comme les palétuviers, émettent des « pneumatophores », organes respiratoires émergeant de leurs racines.

  12. L'anguille adulte « dévale » en direction de cette vaste région de l'Atlantique nord, couverte d'algues. Plus tard, ses alevins appelés localement « piballes » remonteront le courant... s'ils n'ont pas été pêchés auparavant.

  13. « Plage blanche ». L'embouchure du courant d'Huchet se situe à Moliets, près d'Hossegor.

Publié dans Carte postale insolite

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