Les chasses du baron Gourgaud

Publié le par Jean-Claude Boyrie

Les chasses du Baron Gourgaud

« The most dangerous game » (1)

 

                                        

Escale à l'Île d'Aix. Il fait beau. Calme plat. Le temps s'est arrêté parmi les passeroses (2).

Village quadrillé par des rues - au cordeau. L'habitat ilien est uniforme, bas. Une succession de maisons de poupées, avenantes avec leurs façades fleuries. Murs blanchis à la chaux, pimpantes ouvertures: fenêtres et volets sont peints en bleu-charrette.

Au dessus d'une porte, un drapeau tricolore. Il indique l'accès du Musée africain, une bâtisse oblongue, ancien casernement.

L'Afrique est loin pourtant des côtes charentaises... Que peut faire en ce lieu ce musée étonnant? Juste en face, on voit la Maison de l'Empereur, dont le Baron Gourgaud a fait un Mémorial. (3)

Ici finit le vol de l'Aigle. Ici commence la légende. Gourgaud - l'officier d'ordonnance – suit en exil Napoléon à Sainte Hélène. L'arrière-petit-fils achète la maison cent ans plus tard. Il est milliardaire et baron. Ce moderne Nemrod est doublé d'un mécène, il laisse deux musées à la postérité. Souvenirs impériaux et collections de chasse: on passe allègrement de l'un à l'autre thème avec un seul billet. Sans complexes, des estivants – déshabillés - recherchent en ce lieu le refuge et l'abri , quand dardent les rayons du soleil de midi.

Lumière artificielle, ambiance feutrée, accueillent l'arrivant. Voici le visiteur en mal de sensations promu grand voyageur, sans risque d'accident ni d'insolation. Ah! La brousse, Monsieur, lieu de tous les dangers! Des fauves empaillés guettent dans la pénombre. Tam-tam. Rythme obsédant de sourdes mélopées. C'est l'Afrique profonde à l'heure coloniale, survivance d'un temps qu'on croyait révolu.

Le gardien du musée, ancien légionnaire, un nouveau Tartarin mâtiné de Rambo, fleure bon l'after shave au lieu du sable chaud. La faune tropicale est sans secret pour lui.

Les touristes curieux sont rassemblés en groupe. « Nous allons commencer par le Dodo », fait-il.
  - Dodo? Veux pas dormir ici! fait un marmot.
Sa mère le console, il dormira bientôt. Le guide poursuit la visite, imperturbable:
  - Le Dodo, vous l'avez maintenant sous les yeux. C'est un oiseux oiseau, vaniteux volatile. Oui, c'est un gros canard qu'on a trop canardé. Cette espèce habitait jadis l'Île Maurice. Il y a deux cents ans qu'elle est éradiquée.

Une étudiante U.S. (une écolo) s'indigne:
  - It's a shame! Shocking! Pourquoi n'a-t-on pas pris les mésioures de protec- chieune appropriée?

Un Frenchie intervient:
  - Et vous, les Amerlos, qu'avez-vous fait dans le passé de vos Indiens?

Elle marque le coup:
  - J'exige des ex-kiouses!
  - On se calme, keep cool! fait le guide. A présent, retrouvez en Egypte, au pied des Pyramides, le dromadaire blanc que monta Bonaparte....

Querelle d'écoliers:
  - Ah! Quel chameau! fait l'un,
  - Tu n'y es vraiment pas, c'est un dromaludaire! dit l'autre à son copain. Un chalumeau, z'aurait deux bosses, tu sais bien!
  - Du haut de cette bosse, un siècle vous contemple, et non quarante... reprend le guide un brin pédant.
  - Avant qu'il soit longtemps, remarque un visiteur, les mites auront fait mourir cet animal (dromadaire ou chameau) d'une seconde mort.
  - Pourtant, nous n'avons pas pleuré la naphtaline!

Sur ces mots, on retourne à Max l'explorateur.
  - La vitrine suivante évoque le Kénya.
  -Tableau de chasse au pied du Kilimandjaro: un buffle, une gazelle, un rhinocéros blanc, trois zèbres, deux dik-dik et cinq panou-panous.

On l'écoute d'un air béat. Bien peu de gens retiendront les noms bizarres qui défilent. Le premier de la classe - un garçon boutonneux- note fébrilement ces mots sur son carnet. Il pose une question. Pas celle qu'on attend:
  - J'aimerais bien savoir: le zèbre est-il, Monsieur, noir à rayure blanche ou blanc rayé de noir?

Le guide embarrassé s'adresse à l'assistance.
  - Quelqu'un peut-il répondre? [....] On verra ça plus tard! Nous arrivons au bord du lac Tanganyika. Tableau du jour (je cite): éland du Cap, bubale, guererouk, onyx, panou-panous... Tout le monde me suit? Pas de question? C'est bien! Diorama suivant: la chasse à l'éléphant....

Rambo s'anime. Il s'échauffe. Il se prend pour le baron sur la photo, posant un pied sur l'animal vaincu, l'air conquérant: fleur au fusil, cigare au bec, treillis ouvert, le casque colonial bien campé sur sa tête.

Les gosses s'extasient: « Dis, t'as vu ces défenses! »
  - On reconnaît Babar à ses grandes oreilles!
  - Pantalons pattes d'él', ça trompe énormément!

Pour conclure, c'est la question à mille francs:
  - Devinez, les enfants, lequel parmi ces fauves, est le plus redoutable gibier: l'éléphant?... Le lion?... Le léopard?... Le tigre?... Ou...? Personne ne sait, les avis se partagent.  
  - Eh bien, ne cherchez plus, c'est le panou-panou!

L'écolier se décide à poser «la » question:
  - Monsieur: « panou-panou », qu'est-ce que ça veut dire?
  - Eh, tu sais bien, petit! Cette bête affreuse, noire avec des lèvres épaisses, qui s'écrie: « Pas nous! Pas nous! » quand le chasseur la tient en mire.

 

Notes et commentaires:

 

  1. Référence au film de Ernest B. Schroeseck et Irving Michel: « Les chasses du Comte Zaroff » - 1932 – « The most dangerous game » est le titre original de cette oeuvre.

  2. Il s'agit de roses trémières.

  3. Napoléon séjourna du 12 au 15 juillet 1815 dans la maison du gouverneur de l'île d'Aix, sa dernière étape en terre de France. C'est là qu'il signa son acte de reddition au Prince Régent d'Angleterre, puis embarqua pour Sainte Hélène. Son Officier d'ordonnance, le Général Gourgaud, fait partie des compagnons d'exil. Le baron Gourgaud est l'arrière-petit-fils du précédent. Il achète la maison de l'île d'Aix en 1925, y rassemble des souvenirs impériaux et la lègue après sa mort aux Musées nationaux en me temps que ses collections aficaines.

  4. On remarquera que cette espèce énigmatique termine invariablement les tableaux de chasse comme le raton-laveur conclut un « inventaire à la Prévert ».

Publié dans Carte postale insolite

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